Je n’ai rien fait de mal

Je n’ai rien fait de mal – « Depuis que ma première-née peut marcher, une forte sensation d’inconfort m’envahit quand je la vois en présence d’hommes âgés. » C’est souvent à la naissance de ses propres enfants que l’adulte revient à son passé, ou le voit ressurgir, sans prévenir. Il aura fallu vingt ans à Mika Sperling pour faire face à l’ombre de son grand-père, celui qui a abusé d’elle pendant de nombreuses années.

Sur l’album de famille, elle le confine à ce statut d’ombre, découpant sa silhouette pour évoquer en creux la menace qu’il a pu représenter et peut-être également le retirer à tout jamais de sa vie. Sur les clichés pris dans le décor familial apparaît donc une jeune fille, parfois souriante, parfois réservée, à côté de cette présence taboue et encombrante, « the elephant in the room » ainsi qu’elle serait appelée outre-Manche.

Certaines photographies ne sont pas dévoilées et présentées de dos, simplement décrite par des mots, lourds de sens : « Nous sommes dans le salon de notre grand-père. Il est assis dans son fauteuil et porte deux filles sur ses genoux. Je suis l’une d’elles. Sa main droite est posée sur ma hanche, sa main gauche sur la poitrine de l’autre fille. » 

Ces archives familiales dialoguent avec des photographies plus récentes que Mika Sperling a prises sur le chemin reliant sa maison natale à celle de son grand-père. Des clichés insaisissables qui font remonter ses souvenirs. Apparaît sur quelques pages un bébé, qui incarne la pureté de l’enfance, celle qu’elle a vu s’envoler très jeune mais que sa propre fille doit conserver à tout prix.

Entre ces images, une conversation se joue entre la photographe et son grand-père, s’ouvrant par les mots de ce derniers « Je n’ai rien fait de mal ». Le coupable étant décédé aujourd’hui, ce scénario est imaginé. Il n’en demeure pas moins un exutoire et une porte vers la guérison.