ABSTRACT
ABSTRACT
Une fissure noire sur un sol ou un mur gris. Dessine-t-elle un soleil ? Un
ballon qui laisse pendre son fil ? Un soleil qui ne tient qu’à un fil ? Nous
conduit-elle dans le poêle de Descartes ? Ou dans la faille obscure qui se niche
au cœur des images ? ABSTRACT : un résumé, mais aussi une abstraction.
L’abstraction de l’image n’est-ce pas une façon de faire apparaître sa structure
masquée, celle qui règle sa composition, l’ordonnancement géométrique secret de
ce qui nous est donné à voir ? Abstraire, c’est viser le concept, ou plutôt,
ici, l’idée en bousculant l’écran. To abstract c’est soustraire, soit faire
apparaître ce qui est soustrait, implicite dans l’image.
Le cadre, qui
sous-entend mais aussi fait oublier ce qui le déborde, car la perspective,
immanente à la photographie, l’implique comme l’avait montré Panofsky pour la
peinture ; le noir et blanc qui magnifie les couleurs en les absentant ; 4 le
silence assourdissant des images. Mais en dé-figurant la photographie, Olivier
Degen ne nous indique-t-il pas ce qui nous aveugle dans l’image pour essayer de
nous faire voir ce que l’écran des formes où nous nous identifions, où nous nous
logeons, rend invisible. Le regard est ce qui manque à ce que nous voyons, c’est
pourquoi, sans doute, je regarde pour ne pas le voir. To abstract c’est aussi
extraire. En effet, à proprement parler, il ne s’agit pas de photographies
abstraites comme il en existe, mais de transitions, d’images s’abstrayant comme
lorsque le crépuscule ou la lente clôture des yeux nous les dérobe. L’image
saisit-elle alors le silence qui se déroule inlassablement dans l’écoulement du
temps, l’instant que masque le mouvement ? Ne nous oriente-t-elle pas, par un
clin d’œil, en déjouant la fixation intemporelle de ce qui est absolument
éphémère, vers ce qui est au-delà de l’apparence et qui se tient dans le
silence, innommable ? Ou encore est-ce une vue myope dans la pénombre qui rend
les images inquiétantes comme l’astigmatisme hypothétique du Gréco en son temps
? Ou, supposons, une image que le photographe voudrait nous faire croire aussi
involontaire que le lapsus de Portia qui n’avait pas échappé à Freud, un appui
comme imprévu sur le déclencheur, une pellicule qu’on 5 n’aurait pas remontée,
un acte manqué du photographe qui réussirait à saisir ce qui ne se voit pas, ce
que le cliché se doit d’ordinaire effacer. Dans ce cas s’agit-il, en présentant
ces images, qui sembleraient des rebuts, de contester. Alain Vanier
-Psychanalyse
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