Aveuglements
Aveuglements
Au cœur de la pratique et de la théorie de l'art, les yeux fonctionnent comme
des outils de perception et d'évaluation, d'enregistrement et d'appréciation.
Ils sont les instruments indispensables pour comprendre, déchiffrer, assimiler
les réalités du monde et sont tout aussi indispensables pour en produire une
interprétation dans ce que l'on nomme justement les arts visuels. Or,
paradoxalement, une image hante toute l'histoire de l'art : celle de l'aveugle,
de l'individu atteint de cécité. Peintres, sculpteurs, photographes et, plus
récemment, vidéastes n'ont cessé de le représenter en groupe, comme le fit si
admirablement Brueghel dans sa fameuse Parabole ou isolé et en proie à la
détresse, comme le fera plus tard le peintre Lovis Corinth ou le photographe
Paul Strand.
Les représentations de l'individu plongé dans les ténèbres abondent et
traversent les siècles et les continents. Elles disent la cruauté des supplices
infligés par l'ennemi ou le despote comme l'a si bien montré Rembrandt dans
Samson aveugle ou Raphaël dans L'Aveuglement d'Elymas mais aussi les sentiments
d'espoir, d'empathie et de bonté qui accompagnent la guérison et le recouvrement
de la vue si souvent traitée par les artistes (La Guérison de l'aveugle-né de
Duccio ou Le Christ guérissant de Nicolas Poussin...).
Les artistes modernes et contemporains sont nombreux également à prendre la
cécité en considération et à lui faire place dans leur œuvre. De Marcel Duchamp
à Brancusi, de Louise Bourgeois à Sophie Calle, de Cy Twombly à Rémy Zaugg et
Giuseppe Penone, l'œil blessé, la déficience visuelle ou le « regard interdit »
se donnent comme de réels sujets de réflexion et reposent la question du voir et
des manières d'appréhender la réalité.
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