Desmemoria
Desmemoria
Desmemoria constitue un témoignage à la fois photographique, anthropologique et
social sur la communauté des azucareros de Cuba – les travailleurs de
l'industrie du sucre et révolutionnaires de la première heure.
Entre 2016 et 2017, Pierre-Élie de Pibrac a sillonné l'île et a vécu chez
diverses familles de cette communauté. À travers cette expérience, le
photographe interroge la fin des utopies chez un peuple qui a cru et oeuvré pour
que s'incarne le rêve castriste. Durant des décennies, l'industrie du sucre
devait être le faire-valoir de l'économie cubaine et était à cette fin célébrée
par Castro et ses troupes : " Le sucre est notre histoire, sans lui, il est
impossible de comprendre l'essence et l'âme de Cuba ", souligne l'historien
cubain Eusebio Leal Spengler. Plus d'un demi-siècle plus tard, cette économie
sucrière n'a pas tenu ses promesses d'émancipation, à l'image de l'idéologie
castriste. En immersion dans les zones rurales, Pierre-Élie de Pibrac est parti
à la rencontre des habitants des bateyes (villages) des centrales sucrières.
Toujours en activité ou désaffectées ces cités du sucre et ses travailleurs
témoignent de vies sacrifiées à l'aune d'une doxa utopiste. Les bateyes sont les
théâtres du désenchantement de la société cubaine. Il y règne une ambiance
pesante qui souligne la solitude, la pauvreté, l'isolement et la précarité. Si
la canne à sucre a construit Cuba et a représenté la fierté nationale,
aujourd'hui, elle est le symbole de son naufrage entraînant avec elle une
nouvelle génération sans repère. Dans cette période de transition de l'histoire
cubaine, les images de Pierre-Élie de Pibrac donnent à voir un monde qui se
délite. Elles racontent comment le peuple cubain appréhende désormais son
quotidien, quel regard il porte
sur son histoire récente. La démarche à la fois documentaire et artistique du
photographe permet une lecture autre de l'après-castrisme qui se met aujourd'hui
en place. À travers le prisme de divers registres d'images – photographies
réalisées lors de ce long séjour et images extraites de l'iconographie
vernaculaire, Pierre-Élie de Pibrac donne à voir une société désenchantée mais
aussi profondément attachée à la singularité de son histoire.
Ce travail photographique a été récompensé par le prix Levallois en 2018.
Texte inédit de Zoé Valdès
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