Ils restent
Ils restent
« D’où viennent nos pères ? Qui sont-ils ? Que transmettent-ils ? Et
qu’attendent les fils ? » sont les questions que pose Éric Courtet. Les non-dits
balisent nos vies le plus souvent, et nous faisons avec, reconstruisant notre
propre histoire et celles de nos aînés. C’est ce silence qui est ici souligné
avec ces portraits de pères et de fils réunis, de tous âges, un « arrêt sur
image » qui puisse enclencher une narration pour le regardeur, en territoire
intime — une autre vérité.
Au-delà des ressemblances (ou leur absence) entre les sujets, c’est avant tout
les jeux de regard, les postures et les gestes qui frappent. Tendresse ou
dureté, pudeur, gêne ou affection, complicité ou timidité, malaise… ces
sentiments, auxquels participent le décor et les tenues, ne sont pas donnés
d’emblée mais évoqués par le hors-champ, l’au-delà de l’image. Derrière la
frontalité apparente, quand bien même les sujets sont de dos, c’est une approche
fragile de tous les nœuds éventuels, tous les secrets qui relient les pères et
les fils ; les transmissions possibles ou rejetées, professionnelles ou de
toutes sortes (le goût pour tel sport, la musique, la nature…) — en un mot : les
racines, qu’on est invités à interroger, entre passé et futur, parce qu’ils
restent, les pères, les fils.
Les racines ou les sources… Marie-Hélène Lafon, dont on connaît l’obsession dans
ses livres pour l’arrachement et l’attachement à une terre d’enfance, s’est
glissée entre ces images pour y proposer sa propre narration, sa propre lecture
des silences. Par petits blocs de prose dense (et deux poèmes), elle redonne
parole aux fils, et peu importe qu’on puisse retrouver tel ou tel élément des
images dans ces textes, ils ne font surtout pas légendes parce que ce qu’on
entend c’est une voix, où affleurent sentiments et sensations toujours
paradoxales — humaines. Proposant une mémoire à ces fils, elle nous invite à son
tour, avec Éric Courtet, à interroger la nôtre, à regarder ces visages, ces
attitudes à l’aune de notre propre histoire, en écho. À lire la fragilité des
généalogies et des filiations, comme, des arbres, « [la] peau, [le] grain, [les]
velours. [Le] silence. »
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