La Révolution suspendue
La Révolution suspendue
Au milieu des années 1920, l'agitprop des milieux de la gauche radicale
développa un langage et des méthodes qui marquèrent durablement le discours sur
la photographie. En plus des photomontages qui remplissaient la presse
illustrée, les mouvements culturels et politiques s'appuyèrent sur un principe
nouveau : la photographie, médium populaire, devait servir la cause du peuple en
lui permettant de produire lui-même les documents de la vie sociale. Selon
l'hypothèse prolétarienne, cet acte de prise de contrôle par les travailleurs de
leur propre image faisait passer les ouvriers du statut de " classe objet " à
celui de sujet et acteur de leur propre représentation. Qui mieux que les
dominés pouvaient rendre compte au quotidien des luttes dans lesquelles ils se
trouvaient engagés ? Aussi les travailleurs se saisirent-ils d'appareils
photographiques dans le but de documenter leur quotidien, leur travail et leurs
loisirs, plus singulièrement leur engagement dans le mouvement social. Cette
nouvelle méthode d'agitprop, consistant à déléguer aux ouvriers les moyens de
production visuelle, soutenue par l'organisation d'expositions ou de réseaux
d'amateurs ouvriers, s'est étendue à différents pays - l'Allemagne et l'URSS en
premier lieu, mais aussi la Tchécoslovaquie, l'Angleterre, la France, les
États-Unis notamment. Le présent ouvrage analyse tous les aspects de l'émergence
du mouvement d'agitprop par la photographie. Il commence par exposer
l'importance du Secours ouvrier international dans l'organisation de la
propagande communiste avant de s'attarder sur la question spécifique de la
presse illustrée. Enfin, la photographie ouvrière occupe la troisième partie. Y
sont analysés les réseaux, les modes de sociabilité, l'esthétique et le rapport
aux agences. Ce mouvement conduit à faire naître de nouvelles formes de
reportage social, et la réflexion théorique sur la photographie est largement
commentée dans les cercles littéraires et journalistiques. À l'arrivée des nazis
au pouvoir, le réseau des photographes ouvriers devient un mouvement clandestin
de résistance dont témoigne par exemple l’édition à Paris en 1933 du Livre brun
dénonçant déjà les persécutions opérées par le régime hitlérien.
Share

