L'EPOQUE DE LA PEINTURE
L'EPOQUE DE LA PEINTURE
À contre-courant de notre époque, celle de la technique, de la raison
calculatrice, des logiques de domination qui s’immiscent dans toutes les
dimensions de la vie, époque qui trouve son origine lointaine dans le
néolithique où furent inventés l’agriculture et l’élevage, Jérôme Thélot propose
« de former l’utopie d’un radical recommencement ». Se souvenant de l’invention
de la peinture dans le secret des cavernes du paléolithique, et de sa fonction
instauratrice durant des millénaires, son projet paradoxal est motivé par une
espérance obstinée, celle d’inaugurer une nouvelle époque de la peinture, que
prophétisent à leur manière certaines œuvres majeures comme celles de Giorgio
Morandi ou d’Edward Hopper. Car « il vaut impérativement la peine, à l’heure
catastrophique où nous sommes d’une possible disparition de la vie terrestre, de
scruter à nouveaux frais la teneur de la peinture », sa teneur « en vérité, en
justice et en bonté ». L’époque de la peinture serait celle d’un autre paradigme
éthique et politique, d’une douceur nouvelle dans notre rapport aux êtres et aux
choses, qui désamorcerait les mécanismes de violence et de destruction régissant
l’histoire contemporaine. « La question de savoir si l’utopie dont ce livre
formule les prolégomènes est plausible ou non, ne se pose pas : bien plutôt
s’agit-il d’exposer les articulations d’une philosophie qui défend l’idée d’une
époque improbable où la peinture eût fait, ou bien ferait, notre salut. Aussi ce
livre esquisse un mythe ouvert qu’il fût revenu ou qu’il reviendrait à un
recommencement de l’histoire de conjuguer. Un ‘‘mythe’’ : un récit qui fonde une
époque et décide de son sens. Il débute par une genèse, puis se développe de
mythèmes en mythèmes. Lesquels racontent, successivement, avec le don de ‘‘La
Charité romaine’’ l’invention picturale de la subjectivité ; avec le débat entre
Baudelaire et Manet le surmontement de la représentation sacrificielle ; puis,
avec l’art compassionné d’Irène soignant Sébastien, la fusion d’éros et d’agapè.
Ensuite, adossé à ces préalables, le mythe recueille la puissance de
recommencement de la peinture par-delà les dévastations de l’époque de la
technique : en particulier, dans son ἐποχή chez Bram van Velde réduisant le
paysage à sa vie antérieure. Enfin, il reconnaît dans la gaieté aussi originaire
que l’effroi la disposition affective intime à cette puissance, et il raconte
sur la scène de l’utopie le très simple destin d’une artiste qui l’incarne. Ce
sont ainsi une quarantaine d’œuvres occidentales, de Holbein à Soutine, de
Zurabaran à Morandi, de Frans Hals à Hopper, qui encouragent ici l’association,
presque l’identification de la peinture à l’espoir. » (J. T.)
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