Mandoline
Mandoline
Comme tirées d’un sommeil lourd, comme échappées d’une fable sans âge ou de
l’album cartonné d’un enfant depuis longtemps sénile, quelques notes de musique
s’élèvent à la façon d’un génie sorti d’une bouteille. Noires, croches, blanches
s’envolent, se transforment, s’aplatissent, glissent, se transportent plus loin,
plus loin réapparaissent et se métamorphosent encore. Sur leur passage, les
objets inanimés s’activent, les êtres se sentent secoués d’un frisson, d’une
sensation, de l’amorce d’une idée, d’une action. Mais le temps d’esquisser un
geste, la scie hélas s’esquive, déjà l’antienne passe à l’as. Faisant fi,
faisant flûte du temps, les notes, en mille transcriptions imprévisibles,
farandole de signes minuscules ou fumeroles charbonneuses, traversent librement
les époques, les cases et les pages où les êtres comme les choses restent
englués dans une sourde lourde mélancolie. La ritournelle passe, ses notes
tantôt caressent des caboches, tantôt les traversent, les meuvent, les émeuvent,
les enchante et tout aussitôt les quitte, les laisse à leur langueur. Dans ces
espaces étanches où pas une parole ne s’échange, où aucun son ne vibre, vivement
virevoltent les notes : elles se sont faufilées silencieuses par le combiné d’un
téléphone, elles sortiront, gracieux gribouillis, d’un tuyau ou d’une conque.
Dans ces volutes graphiques, à travers ces notations évanouies rien n’aura été
communiqué, aucun secret trahi. Chut ! Qu’entends-je ?... L’écrit.
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