SYRINX
SYRINX
Écouter/voir : la culture occidentale a depuis longtemps isolé sinon opposé ces
deux champs de notre vie perceptive : là où l’œil objective, met à distance le
monde afin de le soumettre aux rigueurs de la raison, l’oreille immerge le sujet
dans ce même monde et au besoin conduit à son envoûtement. Alors que la vue
dispose du temps, l’écoute doit se saisir de l’instant dans lequel ce qui lui
est dû surgit pour disparaître. Nous aurions tort de croire cette typologie
inébranlable. Ce que l’on peut appréhender de l’ouïe des oiseaux bouleverse la
rigidité d’un tel modèle : leur usage de l’écoute semble allier une dimension
active et directionnelle de l’ouïe, à l’instar de la vue, et une relative
indifférence aux traits séquentiels de rythme et de mélodie portés par ce que
nous appelons peut-être un peu lestement leur chant. Celui-ci se caractérisant
davantage par la présence de motifs dont l’ordre temporel importe peu. C’est
peut-être cette énigme du chant et du monde sonore en général, celui qui nous
envahit et nous pénètre comme pour nous animer, que les images de Joséphine
Michel déploient dans le registre en apparence si hétérogène du visuel. Ses
photographies d’oiseaux le plus souvent écartent d’emblée la figure ou les
grâces du corps entier, et le mythe du défi lancé à la pesanteur. Elles se
consacrent à une forme de révélation de ces motifs qu’une saisie intime et
singulière conduit aux confins de l’abstraction. Ce sont des yeux et des plumes
que l’on ne peut se contenter de regarder mais au sein desquels nous sommes
soudain plongés, comme si le regard pouvait perdre un temps de sa faconde et
rejoindre, à travers l’observation aimantée, la passion de l’écoute. Comme s’il
n’y avait plus seulement à déchiffrer, à lire, mais aussi à capter, et à se
laisser capter. À rejoindre tout ensemble la saisie et le saisissement. Dans un
texte remarquable et audacieux, l’anthropologue Tim Ingold nous entraîne dans un
questionnement de cette trop évidente dualité entre la vue et l’ouïe, dualité
sans doute inféodée aux techniques issues de l’écriture. À partir de l’étude des
sons des oiseaux, il interroge des pratiques chamaniques de guérison, chez les
Shipibo-Conibo, à l’est du Pérou, dans lesquelles une conception aérienne de
l’être se substitue à l’approche corporelle, et où lumière et chant échangent
leurs formes et leurs voies : éphémères et irradiantes figures qu’il ne s’agit
pas non plus de lire mais d’entendre.
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