Un Visage familier
Un Visage familier
«Année après année, nos corps devenaient de plus en plus optimisés. Mais
optimisés comment ? Il était impossible de le dire. Nos villes aussi avaient été
optimisées, au point de devenir des machines minutieusement réglées et
extrêmement efficaces. Mais efficaces comment ?» Marchant sur les traces d’un
Georges Orwell ou d’un Aldous Huxley, Michael DeForge décrit dans Un Visage
familier une dystopie inquiétante, un monde futuriste où règne une forme de
dictature de la technologie. Dans ce monde, les routes, les villes, mais
également leurs habitants, sont régulièrement «updatés»; d’un jour à l’autre les
immeubles changent de forme et place, les chemins ne mènent plus aux mêmes
destinations, et les êtres humains se réveillent avec des visages différents,
des côtes en moins ou des jambes en plus. Le livre suit plus particulièrement
une employée du gouvernement (et narratrice du livre), qui travaille au
département des plaintes; son seul rôle est de les lire, n’y apportant ni
réponse, ni solution, comme si le simple fait de fixer un écran signifiait que «
quelqu’un s’en occupe ». Le lendemain d’une optimisation, la compagne de
l’employée a disparu sans laisser de trace – est-elle partie volontairement, ou
a-t-elle été victime d’une optimisation? A la recherche d’un signe, dans une
étrange ambiance de paranoïa, ce que découvre la narratrice, c’est que quelque
part, il y a encore un peu de colère, d’indignation dans ce monde sans âme, et
que la colère gronde… Michael DeForge excelle dans la description d’univers à la
logique interne déroutante, et sa description d’une société outrageusement
efficace, déshumanisée, fait froid dans le dos autant qu’elle stimule l’esprit,
comme une mise en garde dénuée de moralisme. Le trait organique de DeForge, sa
palette de couleur acidulée et son sens de l’humour viennent parfaire ce récit
qui navigue entre pur récit de science-fiction et pamphlet politique. La liberté
avec laquelle l’auteur canadien aborde le dessin ne doit tromper personne:
DeForge est un narrateur hors pair, et sans doute une des meilleures choses qui
soient arrivées à la bande dessinée durant cette dernière décennie.
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