Une histoire de l'art d'après Auschwitz
Une histoire de l'art d'après Auschwitz
En quoi Auschwitz a-t-il rompu les modalités traditionnelles de représentation
de la figure humaine héritées de la Renaissance ? Dans quelle mesure cette
rupture s’est-elle logée dans le discours moderniste au point, désormais, d’y
passer en partie inaperçue ? L’art contemporain est-il un art qui se situe
simplement après Auschwitz ou bien est-il, de manière plus complexe, un art
d’après l’événement ? Telles sont quelques-unes des questions qui donnent à
cette Histoire de l’art d’après Auschwitz ses principales orientations. À bien
des égards, en proposant une relecture critique des fondements de la modernité
artistique et une généalogie de l’art contemporain, cette vaste étude se veut
donc aussi une contre-histoire de l’art. Le premier volume qui la compose
entreprend ainsi de réévaluer à l’aune d’Auschwitz l’histoire de l’art
antérieure à l’événement lui-même. On y découvre notamment qu’avec la peur du
déluge et de la guerre, celle de la peste constitue l’un des fondements de l’art
renaissant et de l’ordre du discernement qu’il instaure. En dépit des Figures
disparates qui n’ont cessé pendant cinq siècles de perturber cet ordre, celui-ci
ne céda véritablement qu’après Auschwitz, avec l’apparition massive de Figures
disparues (vol. 2), lesquelles se sont progressivement dissipées dans l’art
contemporain alors même qu’elles continuent d’en informer les Configurations
(vol. 3). Ce deuxième volume d’Une histoire de l’art d’après Auschwitz examine à
présent comment de nouvelles formes artistiques se sont progressivement
élaborées dans l’ombre proche de l’événement. Après avoir rappelé combien les
survivants eux-mêmes ont fait appel à des références artistiques pour tenter de
discerner les ténèbres dans lesquelles ils avaient été plongés, il examine les
fondements de cet art (chapitre 4) à partir du projet de destruction des corps
qu’a entrepris le nazisme et de la disparition des figures à laquelle les
artistes ont été confrontés dès la période d’Auschwitz. Pour l’immense majorité
d’entre eux, toutefois, l’image qu’ils ont pu se former d’Auschwitz s’est
constituée à partir de celles, innombrables, que leur ont fournis les
photographies des camps au moment de leur ouverture et dans les années qui ont
suivi. À cet égard, la photographie a joué le rôle d’un véritable seuil
permettant d’appréhender l’événement (chapitre 5). Progressivement, toutefois,
nombre d’artistes ont opéré à partir de ces images-sources un véritable départ
afin de concevoir d’autres formes artistiques (chapitre 6). Ces départs ont
pris, notamment en France, avec Francis Gruber, Pablo Picasso ou Jean Fautrier,
une forme figurale, où la figure humaine paraît menacée de disparaître. Leurs
homologues états-uniens (Jackson Pollock, Mark Rothko, Barnett Newman) ont quant
à eux opté pour des départs radicalement abstraits, quoiqu’une certaine échelle
humaine persiste sous leurs compositions. Cette persistance se retrouve sous
diverses formes chez des artistes aussi différents qu’Alberto Giacometti,
Francis Bacon ou Zoran MuŠič, notamment dans des figures que tous trois
représentent en marche, comme si ces marches indiquaient en elles-mêmes
l’éloignement progressif de l’art vis-à-vis d’Auschwitz (chapitre 7). C’est
qu’en réalité, dans l’ombre portée cette fois de l’événement, il ne s’agit plus
de discerner les ténèbres, mais bien de les répartir. Cette répartition, et les
voies par lesquelles elle s’est effectuée dans l’art postérieur, seront l’objet
de Configurations, le troisième et dernier volume de cette Histoire de l’art
d’après Auschwitz.
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